Présidentielle 2017: recomposition du paysage politique français

Posted on 7 avril 2017

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La campagne présidentielle française 2017 rend manifeste une recomposition du paysage politique français entamée il y a déjà plusieurs années.

Depuis le début des années 1960 jusqu’aux années 1980, avec le système majoritaire à deux tours appliqué aussi bien pour l’élection présidentielle que pour les élections législatives, la France a connu une division des forces politiques en 4 grands partis, s’alliant deux par deux, le deuxième tour permettant au plus fort des deux partis de chaque tendance de l’emporter avec l’appui de l’autre. A droite, on avait deux partis, l’un plus conservateur, l’autre plus libéral et centriste, à gauche, on avait le PCF de tradition radicale et le PS de tradition réformiste. Ce système n’était pas fait pour que s’implantent et se développent d’autres courants.

Un premier changement décisif a été, dans les années 1980, le renforcement du Front national, favorisé par l’introduction momentanée de la proportionnelle pour les législatives. Un cinquième acteur était désormais présent dans le système à 4. Dans un premier temps, on assista à un rassemblement de tous les autres partis contre lui, et le retour au système majoritaire permit durant presque vingt ans de le marginaliser.

Un deuxième changement a été le destin tourmenté de la gauche depuis les années 1980. On a connu d’abord l’affaiblissement du PCF au profit du PS, du fait de la désindustrialisation et de la fin du bloc de l’Est. A gauche cette tendance a vu de plus en plus clairement la gauche réformiste prendre le dessus, la gauche radicale perdant régulièrement du terrain. L’autre évolution est celle du PS vers un réformisme de plus en plus centriste et libéral, qui a rapidement minorisé les socialistes de gauche. Et durant les 15 premières années du XXIème siècle, cette marche vers le centre n’a pas profité à la gauche radicale, même si elle était de plus en plus seule à porter clairement les objectifs et valeurs de la gauche.

Ces dernières années ont vu surtout la constante progression du Front national et une crise de plus en plus manifeste au sein du PS que la présidence Hollande et le gouvernement Valls ont fortement orienté vers le centre, en dépit des engagements de la campagne de 2012.

La campagne présidentielle 2017 montre que politiquement la France est aujourd’hui divisée en 4 blocs de force à peu près égale, mais qui ne sont plus les deux partis de droite et les deux partis de gauche qui s’entendaient deux par deux. On se trouve aujourd’hui face à 4 blocs à première vue irréconciliables. On a le bloc de gauche 1) divisé entre les partisans de Jean-Luc Mélenchon et ceux de Benoît Hamon, le bloc centriste qui se rassemble autour d’Emmanuel Macron, le bloc nationaliste derrière Marine Le Pen, les trois représentant chacun 25 % de l’électorat, et un bloc de droite conservatrice fidèle à François Fillon, qui a été affaibli par les problèmes judiciaires de son candidat et qui se situe actuellement en dessous de 20 %. La grande nouveauté est que, dans les conditions présentes, aucun bloc ne se propose officiellement de collaborer avec un ou des autres.

Mais on assiste en même temps à un bouillonnement des plus dynamiques qui semble annoncer une recomposition de la vie politique. Si le bloc nationaliste paraît peu touché par ce mouvement, le centre et le PS connaissent les transformations les plus grandes. Le centre qui avait presque disparu se réaffirme puissamment en réunissant largement, de la droite modérée aux socialistes « modernistes ». Le PS est en train d’éclater, de forts contingents socialistes migrant vers le centre au mépris des résultats de la primaire, alors que l’aile gauche s’affaiblit. Pour la première fois depuis longtemps, la gauche radicale remonte dans les sondages et devient la première force de gauche. Quant à la droite conservatrice, empêtré dans le Penelopegate, elle est en recul.

Aucun de ces blocs ne sera capable de gouverner seul et pour l’instant aucune alliance entre deux blocs ne se dessine. Malgré la difficulté d’établir un pronostic solide, le deuxième tour semble se diriger vers un affrontement entre la nationaliste Marine Le Pen et le centriste Emmanuel Macron. Il n’est guère douteux qu’une partie de la droite conservatrice se ralliera à Marine Le Pen, qu’une autre soutiendra Macron, libéral en matière économique, mais qu’un bon nombre pourrait s’abstenir, ne voulant ni du nationalisme ni du « progressisme » sociétal de Macron. En cas, improbable, de victoire de Marine Le Pen, une majorité pourrait se constituer entre le FN, des éléments de la droite conservatrice et les souverainistes minoritaires comme Dupont-Aignan. Macron bénéficiera, outre de l’appui de certains électeurs de droite, de celui de tous les centristes et d’un grand nombre de socialistes. Sa majorité se constituerait des partis et mouvements d’une manière ou d’une autre centristes, et les socialistes macronistes pourraient bien quitter le PS pour rejoindre En marche ! ou fonder un nouveau parti. La gauche ne pourra certainement faire partie d’aucune majorité. Pour le deuxième tour, l’attitude des électeurs de gauche sera un enjeu de taille. Il est possible que cette fois-ci, le « tout sauf Le Pen » marchera moins bien. Il sera peut-être l’option d’une bonne partie de la gauche socialiste favorable à Hamon, mais risque d’avoir moins de succès chez les adeptes de Jean-Luc Mélenchon, qui pourraient s’abstenir. En effet, est-il pire de laisser élire une nationaliste ou d’élire un néolibéral mondialiste dont la politique fait grandir le nationalisme ?

En tout état de cause, à terme, la politique française va revêtir une nouvelle physionomie. Trois blocs pourraient se mettre en place. Un bloc de droite pourrait peu à peu réunir le Front national et une partie de la droite conservatrice (comme en Italie la droite a fédéré conservateurs et néofascistes), un bloc centriste pourrait rassembler les néolibéraux progressistes en matière sociétale (certains disent qu’on aurait quelque chose qui évoquerait les démocrates américains), un bloc de gauche associerait les anticapitalistes. Cette nouvelle gauche serait constituée à partir des insoumis de Jean-Luc Mélenchon, des partis du Front de Gauche (dont le PCF), des plus décidés des membres de la gauche socialiste, d’un bon nombre de Verts, et espérons-le des trotskystes. Jean-Luc Mélenchon aimerait sans doute que cette force ressemble un peu à l’espagnol Podemos. De tels changements demanderaient que les élections législatives aient lieu à la proportionnelle, pour éviter que les deux blocs les plus importants ne contrôlent l’essentiel des sièges.

Ce prélude à une réorganisation du paysage politique est immanquablement chaotique, mais passionnant. Même si ce qui va résulter de toutes ces luttes d’ici dix ans est le plus important, l’issue de la prochaine élection est intéressante. Si Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon s’entendaient, renouant avec le pacte d’entraide entre les deux gauches, la gauche pourrait se retrouver au deuxième tour. Mais il y a peu d’espoir que cela arrive: avec l’actuel rapport de forces, c’est Hamon qui devrait s’effacer devant Mélenchon, et dans ce moment où le PS n’est pas loin de sombrer, le fidèle soldat Hamon se doit de tout tenter pour faire croire que son parti surnage. Et voyons les choses en face: un duel Mélenchon-Le Pen ou un duel Mélenchon-Macron au deuxième tour pourrait-il tourner en faveur de Mélenchon ? Tous les possédants se rangeraient sans difficulté derrière Macron. Quant à voter Le Pen, nul doute que dans les classes aisées on oublierait vite ses scrupules si c’était le prix à payer pour éviter un système plus redistributeur. Et si de manière surprenante, une part des possédants se ralliait à Mélenchon, ne faudrait-il pas se méfier: ne serait-ce pas le résultat d’un arrangement, prélude à une nouvelle présidence à la Hollande, tournant le dos à la gauche (mais on a de bonnes raisons de penser que l’intègre et courageux Mélenchon ne mangera jamais de ce pain-là) ?

Alors, l’essentiel c’est pour les prochaines années, une gauche plus forte. Pour une gauche victorieuse, il faudra attendre encore un peu (ni Corbyn, ni Sanders, ni Podemos, pour ne rien dire de Syriza, n’ont pu pour l’instant concrétiser leurs essais prometteurs).

1) Je dissocie définitivement le mot « gauche » de l’ensemble du PS (français), étant donné que pour l’heure un grand nombre de ses membres rejoignent le camp Macron. Seule mérite encore d’être intégrée à la gauche l’aile gauche du parti qui se rassemble autour de Benoît Hamon.

5 candidats en route vers un système de trois blocs


http://www.humanite.fr/un-debat-de-debut-de-campagne-633673

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