Présidentielle française 2017: en route pour le deuxième tour

Posted on 29 avril 2017

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Ainsi le premier tour de l’élection présidentielle française 2017 est terminé. Le résultat ne m’a pas étonné. Les sondages me paraissaient fiables même si beaucoup insistaient sur une possible volatilité des opinions.Les deux candidat-e-s qui concourront au second tour ne représentent pourtant qu’environ 45 % des suffrages exprimés. On aura , arrivé en tête, Emmanuel Macron, un centriste néolibéral favorable à la mondialisation et à l’UE, un « moderniste », et de l’autre, Marine Le Pen, une nationaliste au conservatisme depuis peu frottée de sensibilité sociale, hostile à l’ouverture des frontières et anti-UE. Ces deux candidats représentent deux des blocs dont j’ai parlé dans un précédent post (https://lib54.wordpress.com/2017/04/07/presidentielle-2017-recomposition-du-paysage-politique-francais/), le bloc centriste, qui a réussi à réémerger alors qu’il avait été marginalisé sous la Vème République, et le bloc nationaliste, héritier du fascisme malgré son assagissement, qui s’est reconstitué peu à peu suite à sa mise à l’écart après le dernier conflit mondial.

Ce qui était prévisible est arrivé: les deux grandes forces qui dirigeaient la France depuis les années 1970, la droite modérée et le PS, ont été désavouées. La droite s’en sort mieux et peut encore vouloir exister, les déboires de François Fillon ne lui ayant fait perdre que deux ou trois points, qui certes lui ont coûté une élection qui semblait au départ facile; mais on la voit divisée entre amis du centre et conservateurs dont certains ne s’effraient pas d’un soutien au FN. Quant au PS, il est en train d’imploser. Le résultat de son candidat Benoît Hamon est tout simplement catastrophique, les socialistes s’étant séparés en trois familles, le noyau dur mais faible autour du vainqueur de la primaire, les ralliés au centriste Macron et ceux qui ont rejoint Jean-Luc Mélenchon. Si le bloc de la droite modérée se maintient encore, en revanche on assiste à la probable disparition du bloc de la gauche modérée, prévisible par les tensions du dernier quinquennat entre les libéraux du gouvernement et les frondeurs, ex-ministres ou parlementaires.

Ce qui est tout à fait important, et qui parfois a été peu souligné dans de nombreux journaux, c’est le score remarquable, et pour moi inattendu, de Jean-Luc Mélenchon. Réfrigéré par le résultat décevant de 2012, je ne voulais pas croire aux sondages le concernant, sauf les tout derniers jours de la campagne où une tendance profonde semblait se confirmer. En tout cas, avec quasiment 20 % et la presque égalité avec la droite modérée, Jean-Luc Mélenchon donne à la gauche radicale son meilleur résultat depuis des décennies (Jacques Duclos, du PCF, avait obtenu plus de 21 % des voix en 1969). Ce score est d’autant plus remarquable que le programme du candidat de la France insoumise était clairement marqué à gauche, et sans concession. Les 20 % de Jean-Luc Mélenchon signent la renaissance d’un bloc de gauche (radicale), que le succès d’un PS mitterrandien, qui depuis des années maintenait l’ambiguïté entre fidélité au socialisme et conversion au libéralisme, empêchait. On peut remercier Hollande et Valls d’avoir, en affichant clairement leur choix libéral, dissipé les doutes. On verra maintenant jusqu’à quel point toutes les forces de gauche antilibérales, y compris à la gauche du PS, sauront collaborer, voire s’unifier, pour construire un bloc de gauche qui pourra contrer celui du centre.

Socialement, ce sont sans doute les classes moyennes jeunes, tirant parti de la nouvelle économie dont elles pensent qu’elle satisfera leurs ambitions, qui ont fait pencher la balance. En face, les partisans du FN viennent plutôt des milieux populaires, mais aussi des classes moyennes des régions défavorisées, qui paient chèrement les évolutions actuelles de l’économie sans frontières. Les classes aisées, les classes moyennes plus âgées, qui ont voté Fillon, n’ont plus de candidat, tout comme une partie des classes populaires et beaucoup de jeunes qui ont choisi Mélenchon.

Il serait étonnant que Macron ne gagne pas le deuxième tour. Le « tout sauf le FN » fonctionne de nouveau à plein. Entre d’une part les « progressistes sociétaux » et les républicains anti-nationalistes, et d’autre part les modérés de droite et de gauche partisans du même système économique libéral, Macron, est sûr de ratisser très large. A part des ralliements souverainistes et quelques soutiens anti-système, et même si une certaine abstention chez les fillonnistes et à la gauche de la gauche va indirectement la servir, Marine Le Pen ne peut guère compter augmenter son audience.

J’ai respiré quand, comme on pouvait s’y attendre, Jean-Luc Mélenchon n’a pas donné de consigne de vote pour le second tour, attendant que les membres de la France insoumise se prononcent. Bien sûr les libéraux faisaient semblant de ne pas comprendre, ou peut-être qu’effectivement ils ne comprenaient pas. On voit qu’ils tremblaient de peur face à l’improbable échec de leur poulain banquier, mais aussi qu’ils préféraient qu’un leader dicte les choix qu’ils souhaitent aux électeurs, plutôt que de les laisser, démocratiquement et en adultes, se prononcer eux-mêmes. Belle réaction pour ceux qui prétendent défendre la démocratie contre Marine Le Pen ! Je crois que si Macron et Le Pen, ce n’est peut-être pas « la peste et le choléra », en tout cas, ce sont deux orientations très négatives entre lesquelles on ne peut guère choisir: faut-il, comme on l’a toujours recommandé depuis des années, de manière très arrangeante pour le système, encore une fois soutenir le libéralisme qui assez rapidement produit le nationalisme à cause de la croissance des inégalités, ou faut-il courir le risque, à vrai dire faible, de laisser gagner un nationalisme dont on constatera très vite les impasses ? Si j’étais Français, nul doute que je ferais le choix de l’abstention entre ces deux candidats qui représentent deux conceptions du monde, l’une haïssant l’étranger et l’autre vouant un culte à l’argent, que je rejette aussi intensément l’une que l’autre.

J’avais évoqué dans le post précité une recomposition en trois blocs: à l’issue du premier tour, le bloc centriste et le bloc de gauche semblent en voie de structuration. Mon hypothèse de la mise en place d’un bloc de droite unissant la droite conservatrice et la droite nationaliste ne se dessine pas pour l’instant, mais le désarroi de la droite fillonniste et le rapprochement de certains de ses membres avec le FN ne l’excluent pas. Si un tel regroupement avait lieu, les franges les plus modérées de la droite rejoindraient sans doute le centre. Ce seront les prochaines élections législatives, sans doute tout aussi complexes que le premier tour de la présidentielle, qui autoriseront les premières conclusions sur ces changements.

Car si l’issue du deuxième tour paraît déjà pliée, ce qui suivra, avec notamment la constitution d’une majorité présidentielle, pourrait bien donner lieu à des rebondissements, concernant notamment le choix des socialistes et des élus de droite par rapport à Emmanuel Macron, la nature de l’éclatement du PS, le nombre plus ou moins grand d’élus du FN, l’avenir des Républicains et du mouvement En Marche !, la forme, fédérative ou unitaire, de la constitution d’une nouvelle gauche.

Cette campagne aura en tout cas permis d’aborder des sujets intéressants: outre les programmes et la grande question du rapport à l’UE, on a pu discuter de l’importance ou non de l’intégrité en politique, de la valeur de l’utilisation des manières traditionnelles de faire campagne et des nouveaux médias électroniques, de la fiabilité des sondages et du rôle de la presse, de la représentativité des partis établis. Quoi qu’en disent certains esprits chagrins, et les presque 79 % de participation le prouvent, la France lors de ce premier tour a connu un grand moment de démocratie, où l’hésitation de nombreux citoyens était l’expression de la difficulté de choisir entre diverses solutions pour résoudre des problèmes complexes, mais face auxquels, sans doute plus qu’auparavant, on ne veut plus se résigner.


https://paris-luttes.info/rassemblement-jeudi-a-republique-7943

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